Printemps 2022 - VOL. 20, N° 2
Susana Esper

La spirale de l’hypocrisie face aux conflits environnementaux

Par Sandrine Rastello

Lorsqu’elle quitte son Argentine natale pour faire un doctorat à HEC Montréal, Susana Esper (Ph. D. 2018) cumule déjà plusieurs expériences professionnelles en politiques publiques. Formée en philosophie politique, intéressée par le rôle des gouvernements dans le climat des affaires, elle choisit comme sujet de thèse l’arrivée contestée d’une multinationale dans une économie émergente.

Le long conflit environnemental autour de ce projet industriel, qui est allé jusqu’à la Cour internationale de Justice, lui donne matière à évaluer l’impact de tactiques jugées hypocrites utilisées par les parties prenantes.

S’appuyant sur une riche collection d’entretiens, d’articles de presse et de documents, sa thèse passe à la loupe les positions officielles des protagonistes : les gouvernements d’Argentine et d’Uruguay, l’entreprise finlandaise qui souhaite s’implanter et un mouvement ­d’opposition de la société civile.

Une escalade de méfiance

En adoptant un discours qui ne correspondait pas à leurs intentions ou à leurs actions réelles pour défendre leurs intérêts, les parties prenantes ont contribué à créer et à alimenter une spirale de l’hypocrisie qui a éloigné toute possibilité de consensus, a démontré Susana Esper, qui a remporté pour ce travail le Prix de la meilleure thèse à HEC Montréal en 2018. Une distinction qui lui a notamment été décernée pour sa contribution au domaine de la responsabilité sociale des entreprises.

« Il y a plusieurs moments où un conflit peut se résoudre, mais quand les protagonistes ne sont pas vraiment engagés à trouver une solution, ils laissent passer d’importantes occasions », explique Susana Esper, devenue depuis professeure adjointe à l’IÉSEG School of Management de Lille, en France.

« La perception de l’hypocrisie chez l’autre, qui entraîne une perte de confiance grandissante, se retrouve dans toutes sortes de conflits, y compris dans le débat actuel sur la vaccination contre la COVID-19 », ajoute-t-elle.

Attention aux angles morts!

Pour les entreprises, dont la responsabilité sociale est de plus en plus scrutée par les investisseurs et les consommateurs, cette thèse invite à la réflexion. Négliger d’engager un dialogue avec les communautés locales qui craignent les conséquences écologiques d’un projet risque d’attiser les tensions, même si l’entreprise estime avoir une politique environnementale irréprochable.

« Même si vous pensez que les accusations n’ont aucun fondement, vous ne pouvez pas les ignorer », souligne Susana Esper. Avoir une politique de développement durable n’empêche pas les angles morts, surtout si elle ne couvre pas, dans les faits, toutes les activités. « Certaines entreprises peuvent avoir un programme de reforestation exemplaire et polluer des rivières ailleurs », fait-elle remarquer.

Susana Esper a remporté le Prix de la meilleure thèse à HEC Montréal en 2018.

La chercheuse poursuit aujourd’hui sa réflexion en s’intéressant aux gestionnaires en responsabilité sociale et à leur réaction lorsque les dirigeants qui leur ont confié un mandat sabotent en réalité leurs efforts. Ou, comme elle le dit elle-même : « Que se passe-t-il en interne lorsque les entreprises font preuve d’hypocrisie? »

Pour en savoir plus

Esper, S.C. Controversies Around CSR and Sustainable ­Development : The Role of Stakeholders in the Spiral of Hypocrisy, HEC Montréal, 2018.