Automne 2022 – VOL. 21, N° 1

DOSSIER LEADERSHIP INSPIRANT

Qu’est-ce qu’un bon leader en 2022?

Par Sandrine Rastello

Peu importe le milieu – sportif, politique, corporatif ou associatif –, le véritable leader s’impose par sa capacité à inspirer et à motiver. Mais cette aptitude, si précieuse, à entraîner les autres dans son sillage peut-elle s’apprendre? Chose certaine, s’il existait une recette, elle serait déjà obsolète en 2022, alors que dirigeants et gestionnaires font face à une multitude de situations inédites — pandémie, inflation, pénurie de main-d’œuvre… Certaines approches se démarquent plus que d’autres, comme en témoignent ces quatre experts.

Connais-toi toi-même!

« Avant de gérer les autres, il faut d’abord apprendre à se gérer soi-même, soutient Éric Brunelle (M. Sc. Management 2000), professeur titulaire au Département de management et professeur associé à la Chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal. Comprendre ses propres forces et ses faiblesses, ses capacités et ses limites, est plus important que jamais en période de crise », poursuit-il. Une telle introspection implique toutefois de prendre soin de soi et de s’offrir une denrée rare : du temps.

Or, de nombreux gestionnaires rencontrés récemment par le professeur lors de formations ou d’entretiens lui ont confié ne pas comprendre pourquoi ils manquent à ce point de temps, alors qu’ils travaillent désormais de la maison.

« Avant de gérer les autres, il faut d’abord apprendre à se gérer soi-même »
— Éric Brunelle
Eric Brunelle et Selma Ldjeraoui

Éric Brunelle

(M. Sc. Management 2000), professeur titulaire au Département de management, directeur du Pôle sports et professeur associé à la Chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal

Selma Idjeraoui

(M. Sc. Management 2018), directrice au sein de l’équipe de transformation des entreprises chez EY

« En discutant avec eux, nous constatons qu’ils ne prennent pas de temps pour eux, pour réfléchir et prendre du recul, fait-il remarquer. Au lieu de se réserver des moments à leur agenda, ils enchaînent les réunions en ligne. Résultat : ils ne se protègent pas et s’épuisent. »

« Avoir une conscience et une maîtrise de soi fait partie de l’intelligence émotionnelle, une des caractéristiques essentielles du leader d’aujourd’hui, ajoute Selma Idjeraoui (M. Sc. Management 2018), directrice au sein de l’équipe de transformation des entreprises chez EY, car les employés souhaitent voir en leur gestionnaire un modèle positif d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. »

Cette recherche personnelle peut prendre diverses formes : acquisition de nouvelles compétences, tenue d’un journal de bord, recours à un coach…

Alaric Bourgoin (M. Sc. Management 2009), professeur agrégé et codirecteur du nouveau Pôle dirigeant, dirigeante et direction stratégique à HEC Montréal, s’est d’ailleurs penché sur la solitude des dirigeants. À ce chapitre, il souligne le rôle croissant des réseaux et des cercles de PDG qui offrent un espace de partage, à l’abri des employés et des investisseurs. « Les leaders ne sont pas là juste pour parler affaires : ils y sont aussi pour parler d’eux, de ce qu’ils ressentent », assure-t-il.

« Les bons leaders savent aussi créer d’autres leaders. Ils ne craignent pas les gens qui sont meilleurs qu’eux. »
— Alaric Bourgoin

Accueillir le changement

Il nous faut aussi oublier la notion dépassée selon laquelle nous disposons de quelques années pour anticiper les changements. « Comme l’ont démontré les récents événements, nous sommes désormais en situation d’ambiguïté perpétuelle, déclare Alexandra Genest (DESS en comptabilité 2004), cheffe de cabinet du chef de la direction de Deloitte Canada. Il faut juste essayer d’élaborer plusieurs scénarios possibles et tenter ensuite de naviguer là-dedans avec agilité », recommande-t-elle.

Cette flexibilité demeure toutefois un défi pour nombre de dirigeants, surtout lorsqu’il s’agit de changements générationnels. Le rapport au travail des milléniaux et de la génération Z suscite souvent de l’incompréhension chez leurs aînés. « Pourtant, avec cinq générations possibles sur les lieux de travail, un leader doit en tenir compte », précise Selma Idjeraoui, également ambassadrice du Groupe des Trente, une initiative de Concertation Montréal qui vise à accroître la représentativité des communautés ethnoculturelles dans les instances décisionnelles.

« Le présentéisme de 9 à 5 ou le sacrifice de l’équilibre travail-famille ne sont pas acceptables pour ces jeunes professionnels que les employeurs s’arrachent, fait-elle remarquer. Leur loyauté se mesure à leur engagement pendant les heures de travail. Ainsi, certaines pratiques autrefois valorisées n’ont plus leur place aujourd’hui : il faut se redonner le droit de créer de nouvelles règles du jeu. »

Attention, cependant, à bien écouter leurs aspirations plutôt qu’à tenter de les deviner, met en garde Alexandra Genest. Pour répondre à leurs besoins de temps libre et de mieux-être, Deloitte a, par exemple, accordé 10 jours de congé supplémentaires par an à ses employés.

« La loyauté des employés se mesure à leur engagement pendant les heures de travail. »
— Selma Idjeraoui
Alaric Bourgoin et Alexandra Genest

Alaric Bourgoin

(M. Sc. Management 2009), professeur agrégé et codirecteur du nouveau Pôle dirigeant, dirigeante et direction stratégique à HEC Montréal

Alexandra Genest

(DESS en comptabilité 2004), cheffe de cabinet du chef de la direction de Deloitte Canada

Offrir une vision claire

« Plus l’environnement est turbulent, plus le leader doit se transformer en “chief meaning officer” qui offre à ses troupes une vision, une trajectoire, et donc, du sens, avance Alaric Bourgoin. Il n’y a rien de pire que de laisser une organisation dans le flou », soutient-il.

« Ce besoin de communiquer a été perçu par de nombreux chefs de gouvernement, y compris au Québec, quand ils ont choisi de s’adresser directement – et régulièrement – à la population aux temps forts de la pandémie », ajoute-t-il.

En parallèle, les dernières années ont également intensifié la pression sur les entreprises pour qu’elles énoncent et incarnent des valeurs, qu’il s’agisse d’équité ou de lutte contre le réchauffement climatique. « Les gens ont envie d’être fiers de l’organisation pour laquelle ils travaillent », souligne Éric Brunelle.

« De nombreux dirigeants se sont exprimés sur ces sujets chers aux jeunes générations. Souvent, ils ont annoncé publiquement leurs engagements. Ces déclarations sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) ont accru les attentes des investisseurs, des consommateurs et des employés, dit Selma Idjeraoui. Ces derniers s’attendent donc à ce que les organisations fassent part de leurs progrès à cet égard. »

« Il y a 10-15 ans, tout ce qu’on voyait des leaders, c’est qu’ils étaient forts et qu’ils avaient réponse à tout. Montrer qu’on peut faire des erreurs et avoir des journées difficiles, est plus que jamais apprécié. »
— Alexandra Genest

Faire émerger les talents

« Les bons leaders savent aussi créer d’autres leaders, et ce, à tous les niveaux de l’organisation, poursuit Alaric Bourgoin. Ils ne craignent pas les gens qui sont meilleurs qu’eux. »

Cela commence par la structure même de l’organisation. Moins elle est hiérarchisée, plus les employés gagnent en responsabilités. Mais la culture d’entreprise est tout aussi cruciale. Chacun s’y sent-il réellement encouragé à exprimer son opinion? Les postes ont-ils été adaptés aux personnes, afin qu’elles s’y épanouissent? La rétroaction est-elle transparente, bienveillante?

Plutôt que de mettre l’emphase sur la traditionnelle évaluation annuelle, Éric Brunelle recommande plutôt des rencontres brèves, plus fréquentes et mieux ciblées, qui se rapprochent du coaching sportif en traitant un défi à la fois. « Ce sont de bonnes pratiques qui permettent d’établir des relations et font en sorte que les employés évoluent de manière efficace », affirme-t-il.

En tant que points de mire, les leaders doivent aussi montrer l’exemple. On attend d’eux du courage, non seulement pour mettre en place des mesures difficiles, mais aussi pour faire preuve de tolérance zéro face à certains comportements jugés inacceptables.

Enfin, « en 2022, il est aussi important de les entendre dans de nouveaux registres, en particulier celui de la vulnérabilité », affirme Alexandra Genest. Admettre qu’on n’a pas la réponse ou qu’on s’est trompé donne une autre perspective.

« Il y a 10-15 ans, tout ce qu’on voyait des leaders, c’est qu’ils étaient forts et qu’ils avaient réponse à tout. Montrer qu’on est humain, qu’on peut faire des erreurs et avoir des journées difficiles, est plus que jamais apprécié », conclut-elle.

Pour aller plus loin

Sparked: Discover Your Unique Imprint for Work that Makes You Come Alive, de Jonathan Fields.
Together is Better, de Simon Sinek.
Leadership BS: Fixing Workplaces and Careers One Truth at a Time, de Jeffrey Pfeffer.

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