Automne 2022 – VOL. 21, N° 1

Le plaisir au travail, c’est du sérieux!

Par Alexandre Rousseau et Jean-François Bertholet

Par Alexandre Rousseau (MBA 2020), avocat et consultant d’affaires et Jean-François Bertholet (M. Sc. Ressources humaines 2007), CRHA et consultant en développement organisationnel. Ces deux experts sont aussi chargés de cours au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.
Certains gestionnaires sont d’avis que le bureau est un lieu de travail où la productivité doit régner en maître; d’autres reconnaissent qu’en passant autant d’heures au boulot, il est tout à fait important d’y éprouver du plaisir. Et si ce sentiment était une composante essentielle au succès d’une équipe?

Imaginez la scène suivante : à la fin d’une réunion, des collègues terminent leur discussion dans le corridor; échangeant quelques anecdotes, ils éclatent de rire, prenant quelques minutes pour se détendre avant de retourner à leurs tâches. Or, au même moment, la présidente de l’entreprise surprend la scène qui, sans être répréhensible, tranche radicalement avec le caractère urgent des défis que l’équipe doit résoudre d’ici les prochains jours.

 

Quelles réactions les personnes impliquées dans cette situation pourraient-elles avoir?

  • Les collègues se ressaisissent et retournent chacun vers leur espace de travail de manière à démontrer leur sérieux.
  • Les collègues s’empressent de raconter à la présidente l’anecdote ayant mené à l’éclat de rire, afin qu’elle puisse elle aussi participer à ce moment de détente.
  • La présidente se joint volontairement au groupe et souligne le côté rafraîchissant de la bonne humeur des membres de l’équipe.

La réponse retenue variera grandement en fonction des individus et de l’industrie dans laquelle ils évoluent. Sur le marché du travail, tous ne s’accordent donc pas sur la place qu’on devrait accorder au plaisir!

Une étude réalisée en 2021 a démontré que le plaisir au travail était un facteur d’attraction plus puissant que les arguments d’ordre financier et les possibilités d’avancement.

Des bienfaits tangibles

Selon la littérature scientifique, le concept de « plaisir au travail »1 est associé aux aspects de l’environnement de travail qui ont un potentiel de susciter des émotions positives de joie, d’amusement et de légèreté chez les individus2. On distingue habituellement le « plaisir conditionné », soit celui qu’on cherche à créer de façon préméditée, du « plaisir organique », qui apparaît quant à lui naturellement, de manière intrinsèque et inhérente à la vie organisationnelle3.

 

Les bienfaits d’un environnement professionnel où le plaisir est valorisé sont nombreux. Une étude réalisée en 2021 auprès de candidats en recherche d’emploi a démontré que le plaisir au travail était un facteur d’attraction plus puissant que les arguments d’ordre financier et les possibilités d’avancement4. La recherche en psychologie positive suggère aussi que le fait d’éprouver du plaisir sur le lieu de travail peut aider les individus à penser de manière plus créative, à aborder les situations de façon plus optimiste, à tisser des relations plus solides et à développer de meilleurs mécanismes d’adaptation. De plus, le fait de ressentir du plaisir dans son environnement de travail réduit la fatigue émotionnelle tout en augmentant le degré de satisfaction.

 

Il peut alors être tentant pour un gestionnaire de proposer à son équipe des activités structurées, à des périodes déterminées, en espérant apporter du plaisir au travail. Si l’effort est louable, il faut garder à l’esprit qu’une telle approche n’est souvent pas aussi bénéfique qu’il n’y paraît. Un gestionnaire ne devrait pas avoir à planifier des activités ludiques et dynamiques dans le but d’insuffler une dose de plaisir dans le quotidien de ses employés. Selon une étude5, la simple idée de mettre à l’agenda un « moment de plaisir » est suffisante pour annihiler l’effet positif recherché.

 

Comment peut-on expliquer cette situation? Pour la plupart des gens, tout ce qui est scrupuleusement inscrit dans un agenda est intrinsèquement associé au boulot, et non au plaisir. Le seul fait de programmer un moment pour pratiquer une activité jugée habituellement agréable suffit à minimiser le plaisir ressenti. Beaucoup d’employés ont tendance à percevoir un manque d’authenticité et de sincérité lorsque les activités sont organisées par leur patron.

Conseils pour favoriser le plaisir au travail

En tant que gestionnaire, si vous devez éviter les activités trop structurées et planifiées, vous pouvez néanmoins agir afin de créer un environnement de travail où le plaisir sera valorisé.

 

  • En entrevue, demandez aux candidats quelle place ils accordent au plaisir dans l’exercice de leurs fonctions et, surtout, dans quelle mesure ils y contribuent. Une étude récente6 a d’ailleurs permis d’établir un lien entre les « employés remarquables » et la capacité à éprouver de la joie au travail.
  • Permettez aux membres de votre personnel de mettre en œuvre leurs propres initiatives visant à accroître le plaisir au travail. Ces moments où la bonne humeur émerge de manière organique au sein des équipes ou découle d’initiatives lancées par les employés eux-mêmes sont beaucoup plus puissants que tout ce qui est imposé par la direction.
  • Ne soyez pas un frein au plaisir dans votre environnement professionnel. Si vous rabrouez sèchement vos employés lorsqu’ils expriment leur enthousiasme à travailler ensemble, c’est toute votre culture organisationnelle qui en souffrira.

On aime bien penser que le travail occupe une place si importante dans nos vies qu’il faut y réserver un espace pour l’amusement. Mais on découvre aujourd’hui que cet instant de délassement ne doit pas être un compromis; il doit plutôt être un vecteur de succès organisationnel.

Votre équipe éprouve-t-elle du plaisir au travail?

Téléchargez le questionnaire.

  1. Dans la littérature scientifique anglophone, on emploie l’expression fun at work pour faire référence au concept de plaisir au travail.
  2. Michel, J. W., Tews, M. J., et Allen, D. G., « Fun in the workplace: A review and expanded theoretical perspective », Human Resource Management Review, vol. 29, n° 1, mars 2019, p. 98-110.
  3. Tews, M. J., Jolly, P. M., et Stafford, K., « Fun in the workplace and employee turnover: Is less managed fun better? », Employee Relations, vol. 43, n° 5, juillet 2021, p. 979-995.
  4. Tews, M. J., Michel, J. W., et Bartlett, A. L., « The fundamental role of workplace fun in applicant attraction », Journal of Leadership and Organizational Studies, vol. 19, n° 1, janvier 2012, p. 103-111.
  5. Tonietto, G. N., et Malkoc, S. A., « The calendar mindset: Scheduling takes the fun out and puts the work in », Journal of Marketing Research, vol. 53, n° 6, mars 2016, p. 922-936.
  6. Owler, K., et Morrison, R., « “I always have fun at work”: How “remarkable workers” employ agency and control in order to enjoy themselves », Journal of Management & Organization, vol. 26, n° 2, décembre 2019, p. 135-151.

Illustration : Adobe Stock