Printemps 2022 - VOL. 20, N° 2

10 questions que vous n’avez jamais osé poser à…

Pierre-Majorique Léger

Professeur titulaire, codirecteur du Tech3Lab et directeur du Laboratoire ERPsim de HEC Montréal

Par Liette D'Amours

Véritable « machine à idées  », Pierre-Majorique Léger carbure aux défis et à l’expérimentation dans le but ultime d’innover. On lui doit notamment la cocréation du Tech3Lab, le plus important laboratoire en expérience-utilisateur (UX) en Amérique du Nord, et du jeu de simulation ERPsim, utilisé aujourd’hui dans plus de 300 universités. Rencontre avec un professeur-entrepreneur plutôt dynamique et fort sympathique.

Minibio

  • Né en 1975 à Sainte-Foy, il a grandi à Saint-Bruno-de-Montarville
  • L’aîné d’une famille de deux enfants (un frère)
  • Marié et père d’une fille (16 ans) et d’un garçon (13 ans)

Formation :

  • M. Sc. A. en génie industriel, Polytechnique Montréal (1999)
  • Ph. D. en génie électrique, Polytechnique Montréal (2003)
  • Postdoctorat en technologies de l’information, HEC Montréal
  • Champs d’intérêt : technologies de l’information, expérience utilisateur (UX), interaction humain–machine.

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Quel genre d’enfant étiez-vous?

« Au primaire, j’étais plutôt sage et timide. Je ne disais jamais un mot plus haut que l’autre. Mais, à partir du secondaire, j’ai pris conscience de mon leadership et de ma capacité à mobiliser les autres autour d’un projet, un atout qui me sert d’ailleurs encore aujourd’hui. J’étais de tous les comités organisateurs : président de classe, directeur du journal étudiant… Certains professeurs me voyaient même en politique ou encore barman, tant je parlais un peu trop en classe. (Rires.) Puis, à la fin du secondaire, je me suis découvert une toute nouvelle passion : l’entrepreneuriat! »

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Comment cette révélation est-elle survenue?

« En intégrant l’organisme Jeunes Entreprises du Québec, un programme d’initiation à l’entrepreneuriat dans lequel nous devions créer, avec une vingtaine de jeunes, une mini-entreprise, et en franchir les différentes étapes : fabriquer un produit, le vendre et faire de l’argent. J’ai adoré cette expérience! À partir de là, j’en ai mangé, de l’entrepreneuriat! Cette passion pour organiser et démarrer des projets est encore bien présente chez moi. C’est d’ailleurs ce que je fais au quotidien à l’École, notamment avec les deux laboratoires qu’on y a créés et les nombreuses initiatives qu’on y mène pour en assurer la pérennité. »

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Pourquoi avoir fait des études en génie et non en affaires?

« C’est l’aspect gestion de la technologie et de la R-D qui m’interpellait. C’est pourquoi je suis devenu polytechnicien, et non ingénieur. Après un bac en gestion à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, je me suis donc inscrit à la maîtrise recherche en génie industriel à Polytechnique Montréal. Cette formation m’a permis de développer cet esprit scientifique qui conduit à la résolution de problèmes et de mieux comprendre les ingénieurs et les informaticiens. Ce qui me passionne, c’est la façon dont les humains peuvent apprendre et utiliser efficacement les technologies afin d’aider les concepteurs à améliorer l’expérience des utilisateurs. »

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Comment vos collègues et vos amis vous décriraient-ils?

« Ils me trouvent sûrement assez intense, parce que je coordonne toujours 20 à 30 projets de recherche en parallèle et dirige bon nombre d’étudiants au cycle supérieur. Certains doivent même se demander si je dors la nuit. Je vous rassure : j’ai une vie vraiment normale. Je ne suis pas workaholic ; en fait, pas tant que ça… (Rires.) L’astronaute Chris Hadfield disait : “Les humains ne sont pas comme les insectes, programmés pour ne faire qu’une chose dans la vie.” Ça me rejoint. Pour moi, il n’y a rien de pire que de se limiter à un seul champ d’intérêt. Je suis curieux et j’aime explorer plusieurs choses. »

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Un loisir que vous aimez pratiquer?

« J’aime beaucoup jouer, tant à des jeux de société qu’à des jeux vidéo. Si j’avais plus de temps, je jouerais davantage, et l’équipe que je forme avec mon fils sur FIFA 2022 serait sûrement meilleure. (Rires.) À la maison, on est aussi très amateurs de jeux de table. On est toujours en train d’en acheter de nouveaux. Notre découverte de l’année : Roots, un jeu vraiment captivant! Sinon, on aime aussi faire du Vegflix, soit végéter devant Netflix. (Rires.) Le défi est toujours de trouver la série qui plaira à tous, pour éviter que chacun écoute quelque chose de différent sur sa tablette (alone together). »

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Un talent caché?

« Je suis très manuel. Je fais plein de choses à la maison : menuiserie, électricité, plomberie… Quand ça devient trop critique, j’appelle mon père. (Rires.) J’ai passé ma jeunesse à l’observer et à l’aider. J’ai tout ce qu’il faut dans mon garage pour être un bon bricoleur du dimanche. Le garage, c’est aussi l’endroit où l’on mène toutes sortes d’expériences scientifiques à la maison. L’autre jour, avec ma fille, on s’est pratiqué à faire des points de suture sur des poulets. On s’amuse! J’essaie de lui transmettre qu’en sciences, il ne faut pas avoir peur de se tromper : il faut essayer pour innover. »

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Jusqu’où iriez-vous pour parvenir à vos fins?

« Je respecte toujours les règles, mais mon motto, c’est qu’il vaut parfois mieux s’excuser que de demander la permission. Ainsi, il vaut mieux prendre une initiative et risquer que cela réussisse plutôt que de suivre le chemin usuel : Former un comité pour étudier la possibilité de… Trop long! Dans une bureaucratie, les règles doivent parfois être remises en question lorsqu’elles nous limitent. À HEC Montréal, nous avons toutefois la chance d’avoir une direction ouverte d’esprit et beaucoup de liberté pour innover. Nous sommes tous là pour assurer une relève scientifique de haut calibre et repousser les limites de la science. »

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Une réalisation dont vous êtes particulièrement fier?

« La création de ERPsim, un jeu de simulation qui permet d’apprendre à gérer une entreprise virtuelle dans un marché concurrentiel. Et dire que tout ça a commencé par un cours difficile à enseigner! À mon arrivée à HEC Montréal, en 2003, on m’avait demandé de donner un cours sur le progiciel de gestion intégré (ERP) de SAP. Mais comment susciter l’intérêt et l’engagement de jeunes étudiants qui n’ont jamais travaillé, et encore moins avec ces systèmes complexes ? Mes collègues, Gilbert Babin et Jacques Robert, et moi avons donc misé sur une approche qui émergeait à l’époque : le jeu sérieux (gamification). »

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Quel succès connaît aujourd’hui ERPsim?

« Plus de 300 universités à travers le monde utilisent désormais cette méthode d’apprentissage par exécution pour enseigner cette matière à quelque 50 000 étudiants chaque année. Une société dérivée (spin-off), Bâton Simulations, a été créée pour en commercialiser la licence et former chaque année des milliers de professionnels. La multinationale SAP l’a même acquise pour former son propre personnel! Grâce à ces redevances récurrentes, le Laboratoire ERPsim, que nous avons mis sur pied pour améliorer en continu cet outil pédagogique, parvient à complètement s’autofinancer. Comme quoi le jeu peut mener à tout! (Rires.) »

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Un projet particulier sur votre planche à dessin?

« Bien que l’être humain soit de plus en plus appelé à interagir avec l’intelligence artificielle, son adoption n’est pas toujours un succès et est loin d’être automatique et adéquate. En tant que consommateur, employé ou citoyen, nous sommes souvent confrontés à des enjeux tels que la présence de biais et le manque de confiance. Dans le cadre d’un programme de recherche stratégique financé par IVADO, mon collègue Sylvain Sénécal et moi avons eu l’idée de regrouper des chercheurs issus d’horizons divers pour proposer des lignes directrices en matière de conception de l’IA centrée sur l’humain et ainsi, relever ces défis scientifiques en intelligence artificielle responsable. »