Automne 2021 - VOL. 20, N° 1

DOSSIER CAP SUR 2041

Marc Bédard

La part du Lion!

Par Liette D’Amours

Photographe : Martin Girard, Shoot Studio

S’il est un domaine voué à connaître une expansion fulgurante au cours des prochaines années, c’est bien l’électrification des transports. À ce chapitre, le Québec compte bien devenir un acteur de premier plan, notamment avec des entreprises comme Lion Électrique, dont la stratégie de croissance vient de passer à la vitesse grand V. Rencontre avec un leader électrisant.

Entrée en bourse, investissements gouvernementaux majeurs, projets d’expansion multiples : dire que Lion Électrique déploie actuellement l’artillerie lourde pour se positionner en force dans le marché du véhicule urbain commercial zéro émission relève plutôt de l’euphémisme. Au cours de la dernière année, il ne s’est d’ailleurs pas passé une semaine sans que le manufacturier de Saint-Jérôme occupe l’espace médiatique. Au point où les Québécois ont l’impression d’assister au lancement d’une nouvelle entreprise…

« Pourtant, nous existons depuis 2008, précise d’entrée de jeu son président fondateur, Marc Bédard. À l’époque, l’entreprise s’appelait Autobus Lion. J’aspirais alors à faire une différence dans le domaine du transport scolaire en créant un autobus évolué, à la fine pointe de la technologie. » L’équipe a donc consacré trois longues années à revoir le design complet de ce type de véhicule et à évaluer toutes les technologies de motorisation existantes – diesel, propane, gaz naturel compressé, gaz naturel liquéfié, hydrogène –, pour finalement arrêter son choix sur l’électricité.

« Quand nous avons pris cette décision, en 2010, tout le monde pensait que j’étais fou, se rappelle Marc Bédard. J’étais pas mal seul à croire que le futur passerait par l’électrification des transports. En 2015, lorsque le groupe d’Alexandre Taillefer, XPDN Capital, a investi dans l’entreprise, nous avions déjà l’ambition de conquérir le marché nord-américain des véhicules urbains de poids moyens et lourds entièrement électriques. C’est dire à quel point notre stratégie d’expansion ne date pas d’hier! Mais ça prend beaucoup d’argent pour concrétiser un plan d’affaires aussi ambitieux. »

MINIBIO

Marc Bédard

Président et fondateur Lion Électrique

  • 58 ans
  • B.A.A. 1985 (CPA)

« Dans la très grande majorité des cas, l’électricité est plus avantageuse pour l’opérateur que le diesel. »
– Marc Bédard

Des débuts modestes

Pour survivre et acquérir une certaine notoriété, l’entreprise a d’abord misé sur la stratégie des petits pas. En 2011, elle lance une première série d’autobus qui, bien que propulsés au diesel, comportent une centaine d’innovations. En parallèle, le dirigeant réinvestit tous ses profits pour développer un véhicule entièrement électrique, mis en marché en 2016. L’année suivante, l’entreprise devient Lion Électrique pour refléter une offre de produits plus diversifiée. Ainsi, en plus des autobus et des minibus zéro émission, le fabricant a créé au fil du temps toute une gamme de camions urbains utilitaires de classe 5 à 8.

« Notre diversification passe par l’intégration d’équipements de spécialité sur nos véhicules, explique le président. Nous avons ainsi conçu des camions de collecte de matières résiduelles, des camions de livraison utilisés aujourd’hui par IKEA et Amazon, et des camions-nacelles pour Hydro-Québec. Comme ces équipements sont entièrement alimentés à l’électricité, ils ne requièrent qu’un seul système de recharge et non deux. Cette particularité nous procure une réelle longueur d’avance sur la concurrence. » Vers l’automne 2022, l’entreprise lancera une ambulance entièrement électrique.

Des avantages distinctifs

Pour favoriser l’adoption de ses véhicules électriques, l’entreprise a développé tout un écosystème visant à simplifier la vie de ses clients et à leur démontrer la viabilité de ce modèle économique. « Ainsi, nous ne leur vendons pas seulement des véhicules électriques : nous leur proposons aussi toute notre expertise en solutions de recharge (bornes et analyse de besoins), en financement, en formation des mécaniciens et des chauffeurs, précise Marc Bédard. On s’occupe même des demandes de subvention. »

« Personne n’est contre une planète plus verte, mais nos clients ont besoin d’un modèle d’affaires viable pour leur parc de véhicules, poursuit-il. C’est pourquoi nous avions tout intérêt à maîtriser le coût total de possession, afin de leur montrer qu’il est désormais possible d’être à la fois responsable et rentable. Et bonne nouvelle : lorsqu’on compare aujourd’hui l’électrique au diesel, dans la très grande majorité des cas, cette solution est plus avantageuse pour l’opérateur. »

« Il est envisageable de pouvoir atteindre entre 650 et 700 km avec une seule recharge d’ici cinq à six ans. »
– Marc Bédard

Cap sur l'expansion

Évidemment, le désir d’expansion de Lion Électrique ne s’arrête pas là. Parmi ses nombreux projets, notons un investissement de 185 M$ pour la construction, en 2022, d’une usine de batteries hautement automatisée à Mirabel, à laquelle sera annexé un centre d’innovation. « Notre objectif est d’offrir des véhicules électriques à meilleur prix en réduisant au maximum le coût des batteries, qui représente une grande partie du prix du véhicule, déclare Marc Bédard. Jusqu’ici, nous achetions le module pour construire nos packs de batteries, mais avec cette usine, nous ferons un pas de plus en fabriquant nos propres modules à partir de cellules. Non seulement cette façon de faire nous permettra d’éliminer bon nombre d’intermédiaires et nous mettra davantage à l’abri des ruptures de stocks, mais elle nous donnera aussi un meilleur pouvoir de négociation. » Grâce à la robotisation, cette usine pourra produire cinq gigawattheures, ce qui permettra d’alimenter environ 14 000 véhicules par année!

En parallèle, Lion Électrique a entrepris en Illinois la construction d’une immense usine de fabrication qui fera passer sa capacité manufacturière de 2 500 véhicules à 22 500 par année. « Lorsqu’une juridiction accorde des subventions pour l’achat d’un véhicule électrique, elle s’attend à ce qu’ils soient fabriqués sur son territoire, surtout aux États-Unis, soutient Marc Bédard. Voilà pourquoi nous avons décidé de nous y établir. » Les premiers véhicules sortiront de la chaîne de production en 2022.

Marc Bédard, président et fondateur Lion Électrique

Devenir le roi de la jungle

Et quelles sont les aspirations ultimes du dirigeant? « Devenir un leader dans l’électrification des transports en Amérique du Nord dans nos marchés – autobus, autobus scolaires, camions – et continuer à innover, répond-il. Sur une plus grande échelle, je souhaite aussi que le Québec devienne un acteur majeur dans ce domaine. C’est d’ailleurs le moment idéal pour se positionner en construisant un écosystème qui nous permettrait d’être plus forts, plus avant-gardistes, et de contrôler nos ressources naturelles. Pour moi, le transport électrique sera LA grande révolution du siècle, comme l’a été l’ordinateur au siècle dernier.

Quels sont les défis à relever pour y parvenir? Sur le plan technique, la capacité de recharge et l’autonomie. C’est pourquoi Lion Électrique s’est spécialisée dans les camions urbains qui ne couvrent que de courtes distances. « Actuellement, un véhicule dont la batterie est chargée à pleine capacité peut parcourir environ 400 km, mais cette autonomie devrait augmenter d’environ 10 % chaque année, affirme Marc Bédard. Il est donc envisageable de pouvoir atteindre entre 650 et 700 km avec une seule recharge d’ici cinq à six ans. Et ce, sans parler des technologies très prometteuses qui émergent, comme la batterie solide (solid-state), qui permettrait de multiplier par trois la densité de la batterie. Nous pourrions ainsi viser 1 200 km. De quoi favoriser l’adoption des véhicules électriques. »

Mais le principal frein, selon le dirigeant, demeure la résistance au changement. « Sans législation ferme, il sera difficile d’accélérer l’adoption du transport électrique », croit-il. Dans le cadre de son Plan pour une économie verte, le gouvernement du Québec annonçait en avril dernier un investissement de 250 M $ afin que 100 % des autobus scolaires roulent à l’électricité d’ici 2035. Tout autobus scolaire nouvellement acquis devra dorénavant être électrique. « C’est exactement à ce type de réglementation que l’on s’attend pour faire avancer les choses, clame‑t‑il. Actuellement, le Québec et la Californie sont des leaders, mais plusieurs juridictions doivent aussi emboîter le pas, car il reste encore beaucoup à faire pour réduire notre empreinte. » Chaque année, les autobus scolaires, les autobus urbains et les camions lourds émettent respectivement 23, 75 et 100 tonnes de gaz à effet de serre. À lui seul, le secteur des transports en général génère 45 % des émissions de GES de la province.

Marc Bédard, président et fondateur Lion Électrique

LION ÉLECTRIQUE

  • Fabricant de véhicules urbains de poids moyens et lourds entièrement électriques.
  • Produits : camions commerciaux de classe 5 à 8, autobus et minibus pour le transport (scolaire, adapté et collectif).
  • Fondée en 2008
  • 900 employés
  • Siège social : Saint-Jérôme
  • Entrée en bourse : mai 2021, Bourses de New York et de Toronto (LEV), capitalisation de 3,3 G$ US
  • Chiffre d’affaires (mi-année 2021) : 22,9 M$ US
  • Carnet de commandes (août 2021) : 262 camions et 703 autobus (280 M$ US)
  • Capacité de production en 2022 : 22 500 véhicules électriques