Leadership féminin dans le sport
Leadership féminin dans le sport
Ouvrir la voie!
Par Sandrine Rastello
Alors que la parité dans le sport semble encore hors de portée, le leadership féminin, lui, devient de plus en plus visible. Rencontre avec Manon Simard, Samuel Ouellette et Isabelle Rousseau, dont le parcours et l’énergie font bouger les lignes.
Bâtir une famille du sport
Les hasards de la vie peuvent parfois réserver de drôles de surprises. En 1995, Manon Simard, alors jeune finissante, s’apprête à amorcer une carrière dans l’industrie pharmaceutique lorsqu’un appel vient tout bousculer : on lui offre de remettre sur pied le programme de sport d’excellence, qui vient de fermer et auquel elle a participé comme nageuse.
« Je me suis dit : “Pourquoi pas?” et j’ai plongé, se souvient l’actuelle directrice générale du Centre d’éducation physique et des sports de l’Université de Montréal (CEPSUM). Les moyens étaient limités et personne n’y croyait vraiment, mais nous avons changé cette culture, une journée à la fois . »
Il faut dire qu’on était loin des 520 étudiants-athlètes et des 23 équipes de compétition qui composent aujourd’hui les Carabins!
Entourée de quelques personnes passionnées, elle entreprend de redémarrer les programmes préexistants et en ouvre de nouveaux, animée par l’ambition de bâtir une véritable famille. Toute à sa tâche, elle ne s’arrête pas au fait d’être une femme qui occupe un poste dont les responsabilités grandissent à vue d’œil.

Directrice générale, Centre d’éducation physique
et des sports de l’Université de Montréal (CEPSUM)
et Sport d’excellence (Carabins)
Garder le cap
Toutefois, un événement vient brutalement le lui rappeler. À la suite de sa décision de remplacer l’entraîneur de l’équipe de football, en 2010, Manon Simard se retrouve au milieu d’une tempête médiatique où son genre est mis de l’avant pour remettre en question ses capacités.
« La femme a été solidement attaquée comme gestionnaire, se souvient-elle. Aujourd’hui, on ne verrait plus ça, mais ce jour-là, ma naïveté s’est envolée. »
Quatre ans plus tard, l’équipe remporte pour la première fois de son histoire la coupe Vanier, devant 23 000 spectateurs.
Aujourd’hui, les femmes occupent environ le tiers1 des postes de direction dans le sport au Québec et Manon Simard observe qu’elles sont de plus en plus nombreuses à s’intéresser à cette carrière. Mais l’expérience manque souvent aux candidates désireuses d’accéder à des emplois à hautes responsabilités.
« Il y a des postes clés que j’aurais ardemment voulu pourvoir avec des femmes, mais aucune n’était prête, déplore-t-elle. Je les aurais mises en situation d’échec. Il faut créer des opportunités d’entrée et les aider à évoluer, afin qu’elles puissent passer au prochain échelon. »
Repérer et saisir
C’est dans cet esprit que Manon Simard a abordé le programme de hockey féminin, qui compte aujourd’hui une directrice générale, une entraîneure-cheffe et plusieurs assistantes-entraîneures.
Après deux tentatives infructueuses, la dirigeante des Carabins finit en 2008 par convaincre Danièle Sauvageau, l’entraîneure derrière la première victoire olympique du hockey féminin, de démarrer un programme. « Les Québécoises ont connu de grands succès dans ce sport, mais leurs efforts seraient restés vains si on n’avait pas fait émerger de nouveaux talents », insiste-t-elle.
« Quand Danièle et moi avons abordé ce volet – donner et reconstruire pour créer des structures de développement pour les femmes –, nos valeurs ont instantanément connecté », ajoute-t-elle.
Le métier de coach, dont les conditions sont difficiles, n’en demeure pas moins à grande majorité masculin, CEPSUM compris, reconnaît-elle. Il reste aussi beaucoup à faire pour ce qui est des conseils d’administration, où les hommes occupent 76 %2 des sièges. Manon Simard y est d’ailleurs souvent la seule femme.
« Tout au long de ma carrière, j’ai entendu : “On aimerait t’avoir sur notre CA” ou “Il faut que tu restes, car on a vraiment besoin de femmes”, souligne-t-elle. Alors que ça devrait plutôt être : “On a vraiment besoin de ton expérience et de ton expertise”. »
L’importance des hommes alliés
La richesse qu’offre un milieu sportif plus inclusif n’a jamais fait de doute pour Samuel Ouellette qui, à l’adolescence, a eu une femme comme entraîneure de rugby – sa « meilleure coach à vie ». Sa force? « Son côté humain », répond-il.
Une approche trop rare, estime-t-il, pour une profession qui a longtemps valorisé l’expertise technique aux dépens de l’intelligence émotionnelle et qui, dans les fédérations sportives du Québec, ne compte que 22 %3 de femmes. Cependant, les scandales entourant les harcèlements psychologiques ou les agressions, et les priorités des nouvelles générations, sont en train de transformer le milieu.
« Ces scandales et leur médiatisation nous permettent collectivement de prendre conscience de ces problèmes, et surtout, d’agir, explique le directeur administratif du Pôle sports HEC Montréal, lancé en 2020.
Ce féru de course d’endurance, qui a développé son expertise du milieu sportif par la pratique, le bénévolat et la gestion, a observé de près le manque de femmes en position d’influence. Conscient du rôle crucial des « hommes alliés », il tente aujourd’hui de remédier à la situation.

Directeur administratif,
Pôle sports, HEC Montréal
Agir, à tous les niveaux
Concrètement, devenir un homme allié prend plusieurs formes, que détaille un rapport4 du Laboratoire pour la Progression des Femmes dans les Sports ( PROFEMS ) de l’Université Laval remis au gouvernement l’an dernier.
On y trouve notamment la mise en place d’initiatives pour favoriser la conciliation travail-famille ( p. ex., des horaires flexibles ), la reconnaissance du travail des femmes non seulement en privé mais aussi publiquement, des efforts de sensibilisation auprès d’autres hommes ou encore l’adoption de méthodes de recrutement qui permettent d’élargir le bassin de candidats et candidates.
Samuel Ouellette s’est d’ailleurs impliqué très tôt dans la féminisation des conseils d’administration. En 2015, il prend la gestion d’un organisme à but non lucratif à l’origine de programmes de bourses pour jeunes athlètes. Déterminé à avoir une diversité d’opinions, il transforme la composition du conseil et note des résultats tangibles. Mais ses efforts de recrutement se heurtent à un obstacle récurrent : la peur de ne pas être à la hauteur qu’éprouvent les candidates pressenties.
« On ne peut pas parler de leadership féminin sans parler du syndrome de l’imposteur, insiste-t-il. Au moment de demander à des femmes qui occupaient déjà des fonctions de gestion dans d’autres organisations si elles voulaient s’impliquer au sein de notre C. A., elles doutaient souvent de leur apport potentiel. »
Faciliter le réseautage
Créer un environnement favorable et sécuritaire est important, mais ne suffit donc pas. Peu après sa fondation, le Pôle sports HEC Montréal fait du leadership féminin une priorité stratégique, soutenu par des ambassadrices telles que France Margaret Bélanger, la première femme à accéder au comité exécutif des Canadiens de Montréal.
L’équipe publie un rapport5 de recherche sur le sujet, puis lance un programme pour les jeunes femmes qui veulent intégrer l’industrie du sport ou y progresser. Pendant 24 semaines, le Parcours La Relève leur offre des activités de formation, de mentorat et de développement professionnel pour renforcer leurs capacités de leader et passer à l’action. L’engouement est immédiat. Si bien qu’une troisième cohorte verra le jour cette année.
« Les femmes en ressortent mieux outillées, plus confiantes, constate Samuel Ouellette. Si elles ont des questions ou besoin d’être inspirées, elles disposent désormais d’un réseau sur lequel s’appuyer. »
Mentorer les nouvelles générations
Entourée d’athlètes de haut niveau, de scientifiques et de spécialistes en médecine mobilisés autour de la performance sportive, Isabelle Rousseau vit sa passion au quotidien. Enfin! Car cette triathlète, sportive depuis l’enfance, a longtemps caressé le rêve d’y faire carrière – sans pouvoir le concrétiser. « Travailler dans le milieu du sport m’a toujours interpellée, mais je n’osais pas aspirer à plus que du bénévolat », confie la vice-présidente, Administration, de l’Institut national du sport du Québec.
Pourtant, dès la vingtaine, Isabelle Rousseau acquiert des compétences qui auraient pu lui servir de tremplin, notamment comme membre du conseil d’administration de Triathlon Québec. Elle y laisse même sa marque grâce à la création de camps d’entraînement pour femmes afin de populariser, dans un environnement sécuritaire, une discipline alors encore très masculine.
Le manque d’information et de confiance fait partie de ce que la recherche décrit aujourd’hui comme le « labyrinthe de verre » que représente le parcours des femmes pour accéder à des postes élevés dans l’industrie du sport.

Vice-présidente, Administration
Institut national du sport du Québec
Présidente du C.A. d’Égale Action
Mais, à l’époque, travailler dans le sport demeure inatteignable. Pendant près de 20 ans, tout en donnant du temps à des organisations sportives, Isabelle Rousseau gagne sa vie dans le développement économique et la formation. Jusqu’à ce qu’un ancien gestionnaire la contacte pour lui proposer de se joindre au comité organisateur de la Finale des Jeux du Québec 2016, à Montréal.
« Il a été un homme allié clé dans ma carrière, dit-elle. Il connaissait ma passion pour le sport et mon engagement, il savait comment je travaillais et il a eu confiance. Ç’a été l’occasion de faire le saut. »
Alors qu’elle prend les rênes des ressources humaines et de l’administration, Isabelle Rousseau n’éprouve pas moins de doutes. Elle qui a déjà mis différents événements sur pied a « le sentiment de devoir grimper deux marches » à la fois dans cette méga aventure de 10 jours, portée par 70 employés et 2 000 bénévoles.
L’événement est un succès! Son nom circule et une autre occasion se présente. En 2016, Isabelle Rousseau confirme son virage professionnel en se joignant à l’Institut national du sport du Québec, dans un rôle qui couvre aussi bien les finances que les ressources humaines et la gestion des installations. Là encore, elle a l’impression de gravir plusieurs échelons.
Encourager à oser
Aujourd’hui, c’est elle qui mentore de jeunes femmes en tant qu’ambassadrice du programme du Parcours La Relève. Fière d’inspirer les nouvelles générations, elle leur donne le conseil dont elle aurait eu besoin : « Osez! »
« J’aurais aimé oser plus tôt, souligne-t-elle. Je leur dis : “N’attendez pas d’être parfaites ou super compétentes, vous avez déjà du talent!”. »
Les organisations, elles aussi, doivent oser miser sur le potentiel des femmes, les aider à prendre leur place et à développer leurs aptitudes, insiste Isabelle Rousseau. Une approche qu’a adoptée l’INS Québec, où les femmes représentent plus de 50 % du personnel, et qu’elle promeut en tant que présidente du conseil d’administration d’Égale Action.
À cette association, qui travaille depuis plus de 20 ans à rendre le système sportif québécois plus équitable et égalitaire, se sont ajoutés d’autres organisations et un nombre croissant de modèles féminins, ainsi que de nouvelles priorités gouvernementales en matière de gouvernance et de santé psychologique, se réjouit Isabelle Rousseau.
« Il existe beaucoup plus d’initiatives actuellement, se réjouit-elle, et les beaux modèles à suivre sont aussi de plus en plus nombreux. »
- https://lab-profems.fse.ulaval.ca/wp-content/uploads/2022/12/2022-11-Hommes-allies-2pages.pdf
- Ibid.
- Chaire Claire-Bonenfant (2019). « Portrait statistique québécois 2019 : Place des filles et des femmes dans les sports fédérés, les organismes voués à l’activité physique et au plein-air ».
- https://lab-profems.fse.ulaval.ca/wp-content/uploads/2022/12/2022-11-Hommes-allies-2pages.pdf
- https://polesports.hec.ca/wp-content/uploads/2022/02/RapportRecherche_LeadershipFeminin_PoleSports.pdf
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