Printemps 2023 – VOL. 21, N° 2

DOSSIER MANAGEMENT DU SPORT

Gouvernance

Un chantier qui avance!

Par Sandrine Rastello

Si les principes de bonne gouvernance peuvent parfois sembler théoriques, la façon dont Hockey Canada a géré les plaintes d’inconduites sexuelles impliquant des joueurs de l’équipe nationale junior de 2018 est devenue un cas d’école sur les écueils à éviter. Aucune organisation n’est évidemment à l’abri d’une crise, mais chacune peut mettre en place des mesures pour en minimiser les risques. Le monde du sport est d’ailleurs en pleine transformation à ce chapitre. Trois spécialistes dressent un état des lieux.

Le scandale chez Hockey Canada, qui a envoyé une onde de choc à travers le pays en 2022, a mis en évidence certaines failles en matière d’éthique et de transparence. Il a aussi rappelé qu’un conseil d’administration en manque de diversité a peu de chances de révolutionner les politiques en place.

S’ouvrir sur le monde

Au Québec, une certaine effervescence règne dans les organismes à but non lucratif de sport et de loisir. Ce sentiment d’urgence vient d’un code de gouvernance de plus de 80 pages publié par le gouvernement en 2021, en réponse à une étude qui avait jugé les pratiques du milieu insuffisantes.

« Répondre “On a toujours fait ça d’même” n’est plus acceptable », peut-on y lire en introduction. Les organisations n’ont d’autre choix que d’abattre les frontières qu’elles ont créées au fil des décennies et de s’ouvrir à des idées qu’elles auraient auparavant rejetées catégoriquement. »

Le rapport établit plusieurs niveaux d’exigences et recommande jusqu’à 73 mesures qui portent tant sur la composition et le fonctionnement des conseils d’administration que sur l’éthique et les politiques de gestion financière, y compris les frais de représentation. Plus les organismes reçoivent de fonds publics, plus ils doivent s’adapter pour continuer d’en bénéficier.

« Répondre “On a toujours fait ça d’même” n’est plus acceptable. »
— Extrait du Code de gouvernance des OBNL québécois de sport et de loisir
isabelle-ducharme

Isabelle Ducharme

Directrice générale de SPORTSQUÉBEC

« Le nouveau code impose notamment un nombre minimum de femmes, de membres issus de la diversité et de gens indépendants pour siéger aux conseils d’administration, ce qui ouvrira davantage le milieu sportif sur le monde », estime Isabelle Ducharme (DESG, Gestion 2000), directrice générale de SPORTSQUÉBEC. Ces exigences entraîneront une certaine professionnalisation de la gouvernance.

On cherche désormais des qualifications variées, comme en témoigne cet appel à candidatures de la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade publié en décembre dernier. Pour combler sept postes à son conseil d’administration, l’organisme exige non seulement une bonne connaissance d’un de ces sports, mais aussi une expertise en droit, en collecte de fonds ou en gestion des ressources humaines.

SPORTSQUÉBEC, qui coordonne les Jeux du Québec et plusieurs programmes de bourses et de formation, n’est pas en reste. Isabelle Ducharme a participé à la recomposition du C.A. de son organisation et en a accru l’efficacité avec de nouveaux outils de partage d’information.

Sur le terrain, cependant, tout le monde n’avance pas au même rythme. SPORTSQUÉBEC est témoin des préoccupations de ses membres – qui comprennent notamment des dizaines de fédérations –, surtout dans les petites structures qui ont très peu de personnes salariées. Le tout dans un contexte où les scandales nuisent au milieu sportif et compliquent le recrutement pour les conseils d’administration.

« L’application de ces nouvelles mesures constitue un défi pour beaucoup d’organisations, note Isabelle Ducharme. Ce n’est pas par manque de volonté, au contraire, mais toutes n’ont pas les ressources pour réaliser ces changements dans les délais prévus. »

Communiquer ses valeurs

Joé T. Martineau (Ph. D. en management et éthique d’affaires 2014 et M. Sc. en management 2007) les aide à relever le défi. Professeure agrégée à HEC Montréal et codirectrice associée du Pôle sports, elle forme depuis des mois les directions générales aux bonnes pratiques d’éthique et de gouvernance exigées par le gouvernement.

« Les responsables prennent la question très au sérieux, témoigne-t-elle. Ils voient bien qu’une organisation sportive peut être complètement remise en question par ce type de scandale. »

Le chantier est de taille. Contrairement aux entreprises, qui ont un certain contrôle sur le comportement de leurs employés, le milieu du sport repose en grande partie sur des bénévoles – souvent des parents d’athlètes – qui s’investissent comme entraîneurs ou membres du conseil d’administration, ou simplement comme accompagnateurs des équipes lors des tournois.

« Il faut arriver à les convaincre que leur travail bénévole s’inscrit dans une organisation qui a des valeurs et des lignes directrices de comportement communes, explique Joé T. Martineau. On cherche ici à sensibiliser les parties prenantes et non à les contrôler; il faut donc être assez persévérant. »

Car se doter d’un code d’éthique n’est que le début du travail : il faut ensuite le maintenir en vigueur par des efforts de formation et de communication renouvelés chaque année, poursuit la professeure. D’autant plus que cet engagement couvre une multitude de sujets : on doit aussi bien savoir gérer les conséquences d’une plainte pour harcèlement que prévenir les conflits d’intérêts.

Au-delà des valeurs affichées se pose aussi la question de la culture réelle des organisations. En puisant dans un fonds pour indemniser les victimes alléguées de joueurs sans s’attaquer à l’origine des violences sexuelles, Hockey Canada n’a rien changé à sa culture, a déploré la ministre canadienne des Sports, Pascale St-Onge, lors de la crise qui a mené à la démission de la haute direction.

« Ce qui donne un électrochoc à une organisation, c’est soit une crise majeure, soit un changement radical de direction qui insufflera un nouveau ton et aura le poids nécessaire pour en modifier la culture », soutient Joé T. Martineau.

Joé T. Martineau

Professeure agrégée à HEC Montréal et codirectrice associée du Pôle sports

« On cherche ici à sensibiliser les parties prenantes et non à les contrôler; il faut donc être assez persévérant. »
— Joé T. Martineau

Apprendre des scandales

Eric Myles (EMBA 2011) a vécu cet électrochoc de l’intérieur. L’ancien athlète et entraîneur de haut niveau, cofondateur de Québec en forme, se joint au Comité olympique canadien (COC) en 2014. Dix-huit mois plus tard, le président, Marcel Aubut, fait l’objet d’une plainte pour harcèlement sexuel et démissionne. Plusieurs femmes dénoncent des comportements inappropriés qui durent depuis des années. L’institution est dans la tourmente.

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Eric Myles

Chef du Sport du Comité olympique canadien

« Si le Comité olympique canadien est sorti renforcé de ce scandale, c’est qu’il a réagi rapidement, est allé chercher l’aide de firmes spécialisées, et a mis en place toutes les mesures recommandées en matière de travail et de gouvernance »
— Eric Myles

« Si le COC est sorti renforcé de ce scandale, c’est qu’il a réagi rapidement, est allé chercher l’aide de firmes spécialisées, et a mis en place toutes les mesures recommandées en matière de travail et de gouvernance », analyse Eric Myles. Le dirigeant a d’ailleurs accepté de jouer un rôle plus important à la condition que la nouvelle direction s’engage à effectuer « un profond changement de culture ».

« Cette transformation n’arrive pas par hasard; après un rapport et des recommandations, un plan de travail est nécessaire pour y parvenir, souligne le chef du Sport du Comité olympique canadien. Avec le conseil d’administration, nous avons réussi à rallier l’ensemble du personnel et de la haute direction, et de là, nous avons tous évolué. Depuis, nous avons une organisation complètement différente, guidée par une culture dont nous sommes tous très fiers. »

Le COC a adopté de nouveaux processus d’embauche, en plus d’offrir de solides formations et d’ajouter du sang neuf parmi les gestionnaires et la haute direction. La sélection des membres du conseil d’administration a également évolué, permettant l’arrivée de nouvelles expertises et une nouvelle dynamique.

« Aujourd’hui, autant les comités que la diversité des voix autour de la table enrichissent nos échanges, affirme Eric Myles. Aller présenter un dossier au conseil d’administration représente maintenant un beau défi professionnel à relever de façon positive. »

Les leçons à tirer de cet épisode douloureux ont aussi permis au COC de mettre en œuvre un code de gouvernance pour le sport au Canada qui est désormais utilisé par plusieurs dizaines de fédérations nationales.

« Je trouve ça extrêmement encourageant, conclut Eric Myles. Une bonne gouvernance, c’est la base d’un milieu en santé. »