De père en fille
De père en fille
Par Caroline Boily
Reprendre l’entreprise familiale est un processus à la fois enthousiasmant et périlleux où la gestion des émotions domine. Voici le portrait de trois femmes qui, chacune à leur façon, ont relevé le défi de faire prospérer une entreprise fondée par leur père.
Succession par étapes
Dans la jeune vingtaine, Laurence Vincent ne s’imaginait pas à la tête de l’entreprise cofondée par son père. Après un baccalauréat en histoire, elle rêvait plutôt de travailler pour des organisations humanitaires internationales. C’est d’ailleurs dans l’optique d’une carrière dans ce domaine qu’elle s’inscrit au MBA. « Je l’avoue, j’avais des préjugés contre le monde des affaires, mais ce passage à HEC Montréal m’a fait changer d’avis. J’y ai rencontré des gens de tous horizons et j’y ai eu tellement de plaisir! »
Si bien que ce MBA a été un tournant dans sa vie et l’a fait cheminer vers la présidence de Prével, un des plus importants concepteurs de projets de développement urbain à Montréal. « En 2024, ça fera 20 ans que j’évolue dans l’entreprise. J’ai travaillé sur les chantiers, aux ventes et au service après-vente. Mais j’ai surtout découvert que l’entrepreneuriat est un muscle qui se développe. »
Comment s’est passée la reprise de l’entreprise familiale? Par étapes, sur plusieurs années et avec l’aide d’une agence spécialisée en repreneuriat. Au fil des ans, Laurence Vincent suit son père en tant qu’observatrice et se familiarise avec toutes les facettes de l’entreprise. En 2018, elle devient coprésidente de Prével avec l’associé de son père, puis présidente à part entière en 2021. « Mon père m’a laissé une immense place. Il m’a dit : “Quand la relève a la flamme, il ne faut surtout pas l’éteindre.” On a toujours eu une grande complicité. C’est exceptionnel de connaître son parent sous l’angle professionnel. Très peu d’enfants vivent cette expérience. »
Au cours des 40 dernières années, Prével a construit plus de 12 000 unités résidentielles, notamment des condos, des maisons de ville et des résidences pour personnes âgées. « Je fais un métier extraordinaire : conceptualiser et construire des pans de ville où les gens choisissent de s’établir. L’habitation, surtout dans le contexte actuel, c’est à la fois fondamental et complexe. »

Laurence Vincent
MBA 2008
Présidente, Prével
Transition stratégique
Oberson, une entreprise spécialisée en équipements de ski, de planche à neige et de vélo, a célébré ses 60 ans en 2023. « Mon père, qui a immigré de Suisse à 20 ans, a ouvert son premier magasin à Cowansville en 1963 », précise Alexandra Oberson. Bien qu’elle ait grandi dans l’entreprise familiale, elle ne prévoyait pas la diriger un jour. Mais, en 2001, la nouvelle filiale à Brossard se retrouve sans direction. Alexandra prend alors le relais au pied levé. Elle n’est jamais repartie.
Au fil du temps, l’idée de reprendre le flambeau s’impose. En 2016, elle commence à racheter les parts de son père avec son partenaire d’affaires, Daniel L’Écuyer. « Daniel était déjà le bras droit de mon père et on s’était toujours bien entendus; on a donc fait une proposition de rachat en duo. » Le transfert s’est échelonné sur plusieurs années, une décision qui permet une saine transition, mais qui comporte aussi son lot de défis. « Comme futurs propriétaires, nous voulons faire les choses à notre façon, ce qui est plus compliqué quand on ne contrôle pas encore une entreprise. En parallèle, mon père devait aussi apprendre à laisser aller son bébé. En mettant chacun de l’eau dans notre vin, nous y sommes parvenus. »
Une des clés du succès, selon Alexandra Oberson : le recours à des experts indépendants qui soutiennent chacune des deux parties. « Ça nous a permis de nous sentir en confiance tout au long du processus et de prendre le temps qu’il fallait pour préserver l’harmonie familiale. » Depuis 2020, la femme d’affaires prend grand plaisir à faire évoluer à son image une entreprise qu’elle connaît depuis toujours.
— Alexandra Oberson

Alexandra Oberson
B.A.A. 2000
Présidente, Oberson Sports
Force et persévérance
Bien que Véronique Tougas représente la deuxième génération à la tête du Groupe Cambli, elle fait en réalité partie de la troisième génération à évoluer dans la fabrication de véhicules blindés. « Le transfert entre mon grand-père et mon père s’étant conclu par un échec, mon père a dû redémarrer l’entreprise familiale et créer le Groupe Cambli en 1993. Dès le premier jour, nous avons eu des discussions sur la succession. J’ai donc toujours su que j’allais prendre la relève quand il serait prêt à quitter l’entreprise. »
Véronique Tougas n’a que 33 ans lorsqu’elle accède à la présidence, une façon pour son père de lui témoigner toute sa confiance. Toutefois, quelques années plus tard, l’entreprise connaît des difficultés financières. « Mon père a eu envie de revenir, mais je m’y suis opposée, car je devais faire ma place. »
Bien que Groupe Cambli soit aujourd’hui prospère, le transfert n’a pas été facile pour autant. « Nous y sommes arrivés parce que nous voulions que ça fonctionne, ce qui a exigé certains ajustements. Par exemple, au départ, mon frère devait s’impliquer dans le Groupe, mais il a plutôt démarré sa propre entreprise et est devenu un de nos fournisseurs. »
Établi à Saint-Jean-sur-Richelieu, Groupe Cambli fabrique des véhicules blindés pour le transport de valeurs et pour les forces de l’ordre. « Depuis mon arrivée, nous avons ajouté la production de véhicules destinés aux interventions dangereuses. Dans la dernière décennie, j’ai aussi concentré mes efforts sur le développement de liens commerciaux à l’extérieur de l’Amérique du Nord, en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. »
Et si c’était à refaire? Véronique Tougas se ferait accompagner par un expert en repreneuriat, notamment pour mieux gérer les attentes et les émotions de chacun. « On ne va pas se le cacher, une reprise familiale, c’est 80 % émotionnel et 20 % financier. Aujourd’hui, je suis vraiment à ma place, mais mon apprentissage aurait pu se faire un peu moins à la dure. Groupe Cambli est devenu mon entreprise, avec ma signature, mais l’esprit de mon père y est encore bien présent, ce qui me donne le sentiment que nous avons bien réussi cette transition. »

Véronique Tougas
B.A.A. 2003, CPA
Présidente, Groupe Cambli
Partager :