Automne 2023 – VOL. 22, N° 1

DOSSIER TRANSITIONS

De la réflexion à l'action!

Par Sandrine Rastello

Face aux défis numérique et climatique, les organisations cherchent des guides sur qui s’appuyer. Un soutien devenu une mission pour Olivier Laquinte, Daria Hobeika et Daniel Normandin.

Anticiper les besoins de demain

Olivier Laquinte (B.A.A. 1998) est idéalement placé pour prendre le pouls du monde des affaires. Lorsqu’il fonde Talsom, en 2010, cet ancien de CGI et d’Accenture se concentre sur la gestion de projets numériques. Mais, au fil des contrats, les entreprises lui font part de besoins plus grands, l’incitant à enrichir son offre de services.

Treize ans plus tard, Talsom les accompagne dans leur transformation – gestion du changement, élaboration de stratégies technologiques et définition d’objectifs –, « car il faut savoir pourquoi on souhaite se transformer », souligne l’entrepreneur. En parallèle, la firme-conseil se prépare pour la prochaine phase.

« Au cours des dernières années, la transformation numérique a surtout émané du besoin de créer une expérience client, explique le PDG. Dans les années à venir, l’expérience client va demeurer un élément déclencheur, mais vont s’y ajouter, selon nous, l’expérience employés et la lutte contre les changements climatiques. Les organisations, dans toutes les industries, devront s’adapter. »

Depuis 2018, Talsom se penche sur la place des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans son marché en développant expertise et partenariats. La firme sensibilise aussi sa communauté d’affaires en montrant l’exemple : depuis 2019, elle possède la certification B Corp, une distinction exigeante qui reconnaît les efforts consentis pour agir dans l’intérêt général.

Mais, pour l’heure, mis à part les efforts en matière de diversité et d’inclusion, les enjeux ESG n’arrivent pas encore en tête des priorités pour les entreprises nord-américaines, reconnaît Olivier Laquinte. « Je n’observe pas une urgence ESG, mais plutôt une pression à y réfléchir : les entreprises essaient de se situer, de comprendre ce que cela implique et ce qu’elles doivent faire. Nous en sommes au même stade où se trouvait la transformation numérique il y a 10 ans », fait-il remarquer.

« À l’inverse, capitaliser sur les nouvelles technologies demeure la priorité, ajoute-t-il. Les avancées en intelligence artificielle générative (de type ChatGPT), très visibles, ont remis à l’avant-plan l’importance de ne pas se retrouver à la traîne. »

Quel que soit le projet dans les organisations, les employés s’attendent beaucoup plus qu’autrefois à être consultés, soutient Olivier Laquinte. Les leaders à l’origine de la transformation doivent aussi se montrer très accessibles et faire preuve de transparence, y compris au sujet des difficultés potentielles. « Si on arrive à créer un climat de confiance, ces projets deviennent très inspirants pour les équipes, et le changement se gère plus facilement », conclut-il.

Olivier Laquinte

Président de Talsom

« Il faut savoir pourquoi on souhaite se transformer. »
— Olivier Laquinte

Chiffrer le risque climatique

Si les organisations communiquent volontiers sur leur engagement à minimiser leur impact sur la planète, elles se font toutefois discrètes sur la façon dont elles pourraient être affectées par les changement climatiques. Sans doute plus pour longtemps, car cette information est en voie de devenir un critère d’investissement à part entière, de plus en plus encadré1.

« Dans plusieurs États, notamment au Canada, des projets de réglementation sont en cours pour forcer la divulgation climatique, explique Daria Hobeika (EMBA 2019), cofondatrice et directrice des affaires juridiques du cabinet-conseil Clearsum. Au début du processus, les entreprises peuvent se permettre des discours plus flous, mais avec les années, elles doivent être de plus en plus précises – et c’est là que nous intervenons. »

Clearsum, dont la clientèle est composée d’entreprises et de fonds d’investissement, aide ces organisations à chiffrer la valeur des risques et des opportunités climatiques, selon leur modèle d’affaires ou leur portefeuille.

Certains marchés sont déjà affectés : l’intensification des feux de forêt et des tempêtes a convaincu certaines compagnies d’assurance de se retirer2 de la Californie et de la Floride. « On sent une forte croissance de la demande pour ce type de service qui, bien qu’encore méconnu, deviendra de plus en plus courant », prédit Daria Hobeika, qui a débuté sa carrière en politiques publiques.

Une expérience précieuse, car Clearsum évalue les risques de transition, tels que les changements réglementaires et légaux (par exemple, l’interdiction de prendre l’avion pour de courtes distances) ou encore l’augmentation du coût de certains matériaux.

La firme a aussi agrégé des bases de données qui permettent à ses clients de mieux envisager les catastrophes qui pourraient se produire dans un lieu donné sur un horizon de plusieurs décennies et selon divers scénarios climatiques. « À titre d’exemple, vous êtes propriétaire d’un hôtel là où des inondations risquent de survenir ou à proximité d’un parc national qui en fait le succès, mais où des incendies peuvent faire rage, illustre Daria Hobeika. Si le parc est détruit, il n’y aura plus de clients, et les revenus en souffriront. »

Cet exercice permet de prendre conscience de l’ampleur du risque climatique, encore mal compris par les organisations, note-t-elle. « C’est pourquoi il est indispensable que nos conclusions soient directement communiquées aux décideurs, afin qu’ils puissent tenir compte de cette analyse de risque dans leurs stratégies futures », conclut la spécialiste.

Daria Hobeika
Daria Hobeika
Cofondatrice et directrice des affaires juridiques de la firme-conseil Clearsum
« Dans plusieurs États, notamment au Canada, des projets de réglementation sont en cours pour forcer la divulgation climatique. »
— Daria Hobeika

Pas de durabilité sans économie circulaire

Après la crise financière mondiale de 2008, Daniel Normandin (MBA 1993) se sent désabusé : de nombreuses entreprises ont suspendu, voire abandonné leurs projets de développement durable, freinant le mouvement de réforme qui se dessinait.

Il reprend espoir en 2013, à la lecture d’un rapport de la Fondation Ellen MacArthur. Cette navigatrice et entrepreneuse sociale britannique y prône l’économie circulaire, un modèle qui propose de consommer moins de ressources et d’optimiser leur utilisation pour respecter les limites de la planète.

« Comme il ne se passait encore rien à ce chapitre en Amérique du Nord, j’y ai vu l’occasion de créer quelque chose », se souvient le directeur du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC). Dix ans plus tard, ses efforts ont contribué à l’essor d’un éco­système au Québec, véritable figure de proue sur un continent en retard sur l’Europe ou la Chine.

En témoignent les quelque 300 initiatives répertoriées sur la plateforme Québec Circulaire3, la croissance du CERIEC et la mise sur pied du Réseau de recherche en économie circulaire du Québec4, le plus vaste au monde, qui compte environ 230 membres. Bibliothèque d’outils, reconditionnement de meubles ou d’appareils électroniques, revalorisation d’aliments rejetés… Les nouvelles pratiques touchent tous les domaines.

« Personne ne possède encore la baguette magique pour circulariser l’économie, tempère Daniel Normandin. Nous tentons de retenir les leçons gagnantes et de les transmettre au plus grand nombre. » La tâche est toutefois colossale. Les ressources réintégrées dans la production économique mondiale à la fin de leur cycle de vie ne représentent que 7,2 % du total5, une proportion qui a même décliné depuis les dernières années, alors que l’extraction de matières premières s’intensifie. 

Daniel Normandin
Directeur du Centre d’études et de recherches
intersectorielles en économie circulaire (CERIEC)
« Personne ne possède encore la baguette magique pour circulariser l’économie. Nous tentons de retenir les leçons gagnantes et de les transmettre au plus grand nombre. »
— Daniel Normandin

Mais l’intérêt à cet égard est palpable. D’octobre 2021 à mars 2022, des ateliers virtuels6 organisés notamment par la Fédération des chambres de commerce du Québec et le CERIEC ont permis à 700 gestionnaires d’envisager de nouvelles pratiques, d’esquisser des projets de symbiose industrielle ou d’en apprendre davantage sur les possibilités d’accompagnement.

Depuis 2021, le CERIEC a aussi ouvert des laboratoires d’accélération sectoriels dans lesquels spécialistes de recherche et de terrain s’associent. Daniel Normandin y voit un potentiel d’accélération du mouvement. « Ensemble, on se donne une vision de ce qu’un secteur devrait être en 2040, on identifie les obstacles et on construit des solutions pour concrétiser cette projection, explique-t-il. On lance ensuite des projets d’expérimentation. Cette façon de faire permet de faire participer tous les acteurs du milieu, qui deviennent eux-mêmes des acteurs de changement. » Après le succès du volet construction, les prochains laboratoires se pencheront, notamment, sur les systèmes alimentaires et sur l’industrie textile.