Cap sur le changement!
Cap sur le changement!
Par Liette D'Amours
Au quotidien, Adam Picard-Jourdain, Kathy Malas et Marc-André Laurier Thibault s’activent à faire une réelle différence. Leurs chevaux de bataille : l’autonomie financière des Autochtones, l’innovation en santé et la diversité pour permettre à chacun d’apporter sa pleine contribution. Rencontre avec trois acteurs de changement…
Créer plus de richesse
C’est lors de son passage dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) qu’Adam Picard-Jourdain prend conscience du talent qu’il a pour mobiliser une équipe et de l’impact positif qu’un sentiment de fierté peut engendrer dans une communauté. Suivant les conseils de sa grand-mère qui lui martèle depuis l’enfance que l’éducation est le meilleur tremplin pour les Autochtones, il entreprend des études en administration des affaires dans le but avoué de créer davantage de richesse pour les siens.
Depuis 2014, cet Innu de la Côte-Nord s’affaire donc au quotidien à favoriser le développement économique de Wemotaci, la communauté dont est issue son épouse et qui compte quelque 2 000 membres.
« Offrir un meilleur avenir socioéconomique à mes trois enfants et, par le fait même, à la communauté, c’est ce qui me motive à investir autant d’heures dans mon travail », affirme le directeur général adjoint du Conseil des Atikamekw de Wemotaci.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ancien hockeyeur était déterminé à remporter cette partie, qui n’était pourtant pas gagnée d’avance.

Adam Picard-Jourdain
- 33 ans
- École des dirigeants des Premières Nations, cohorte mai 2022
Avoir de l’impact
« À mon arrivée, le Conseil de bande était en plein redressement financier, la communauté faisait face à un taux de chômage élevé (50 %) et très peu de gens croyaient en notre succès, encore moins à l’ambitieux plan de relance économique que nous nous apprêtions à déployer, raconte-t-il. Toutefois, le hockey m’a appris que lorsque nous avons un objectif commun, la victoire est possible, si tout le monde y met du sien. »
Depuis, les initiatives se succèdent avec, comme point de départ, la construction d’un centre d’affaires pour abriter les bureaux de développement économique de la communauté et pour offrir un espace à frais partagés aux entrepreneurs. Dans la foulée, un réseau de fibre optique se déploie en collaboration avec Hydro-Québec, pour donner accès à Internet haute vitesse.
Pour réaliser tous les projets d’infrastructure majeurs qu’il prévoit – maison des aînés, complexe sportif, centre de formation professionnelle, centre de pédiatrie sociale, barrage hydroélectrique… –, le Conseil de bande acquiert même une quincaillerie au printemps dernier. « La pandémie a mis en lumière certaines faiblesses, dont notre dépendance à quelques fournisseurs, admet le directeur adjoint. Comme nous achetons beaucoup de matériaux de construction, nous avions tout intérêt à investir dans le domaine! »
Viser l’autonomie
« Investir à l’extérieur de la communauté représente aussi un pas vers l’indépendance économique, car en possédant des biens saisissables que nous pouvons désormais mettre en garantie, nous pouvons accéder à du crédit à des taux plus abordables », explique-t-il. À ce chapitre, précisons qu’en raison de la Loi sur les Indiens, tous les biens à l’intérieur de la réserve sont insaisissables, de sorte que ses membres sont davantage considérés à risque par les institutions financières.
Toutes ces réalisations remplissent Adam Picard-Jourdain de fierté et lui donnent envie d’en faire encore plus. « Dans la vie, on trouve toujours quelqu’un pour nous dire que nous rêvons trop grand. Mais l’important, c’est d’y croire, de s’entourer des bons joueurs et d’investir les efforts qu’il faut », conclut le directeur adjoint, qui a aussi, dans l’intervalle, ouvert une école de hockey autochtone sur la Côte-Nord avec deux anciens complices de la LHJMQ.
Susciter l’innovation
Depuis 2018, Kathy Malas pilote la stratégie d’innovation du CHUM, qui comprend tout le volet intelligence artificielle. Le défi est grand, mais tous s’entendent pour dire qu’elle le relève avec brio. Comment susciter l’innovation au sein d’une organisation comptant quelque 18 000 acteurs? « Toute initiative doit être porteuse de sens. On n’innove pas pour innover, mais pour créer des avantages tangibles pour les patients et pour les équipes soignantes », déclare l’adjointe au PDG, Pôle d’innovation et d’intelligence artificielle en santé du CHUM.
« Trop souvent, les gens associent l’innovation aux technologies ou à la recherche, alors que pour moi, il s’agit de toute amélioration qui crée de la valeur, qu’elle soit en continu ou de rupture, technologique, sociale, organisationnelle ou humaine », précise-t-elle.
Dans ce cadre, son rôle consiste donc à inciter les équipes à innover au quotidien, en insufflant une forte culture d’innovation dans l’organisation. Pour ce faire, il faut impliquer un maximum de gens sur le terrain et à tous les niveaux, car non seulement ce sont les premiers observateurs lorsque des problèmes surgissent ou que des besoins sont mal comblés, mais ils sont aussi les mieux placés pour proposer des solutions concrètes et durables.
« L’innovation, c’est l’affaire de tout le monde dans l’organisation, soutient Kathy Malas. Ma petite équipe de cinq personnes ne peut réussir seule. Pour mobiliser les troupes, il faut s’allier aux gestionnaires de toutes les directions; c’est comme ça qu’on forme des agents multiplicateurs. »

Kathy Malas
- 38 ans
- Intérêt de recherche : gestion de la créativité, de l’innovation et des connaissances en santé
Se donner les moyens
Il faut aussi créer un environnement propice à l’innovation : outiller le personnel, l’aider à développer des compétences et soutenir ses initiatives. « D’où l’importance d’offrir de la formation continue en gestion de l’innovation, de réserver du temps pour innover pendant les heures de travail, poursuit Kathy Malas. Il faut également mettre en place des processus et des offres de service pour favoriser l’innovation et en mesurer la valeur tangible. »
Autre condition essentielle : « Les échecs doivent être considérés comme des occasions d’apprentissage, affirme-t-elle. C’est pourquoi on doit donner le droit à l’erreur. »
Inspirer le changement
Et quel type de leadership favorise-t-elle pour atteindre ces ambitieux objectifs? « Tout part des individus sur le terrain, martèle-t-elle. Il faut leur faire confiance et leur donner l’autonomie nécessaire pour trouver eux-mêmes les solutions à mettre de l’avant. Un bon leader doit savoir inspirer et responsabiliser. Pareil pour mon équipe immédiate : ils savent que je suis là pour les soutenir tout en favorisant leur indépendance. Ils peuvent commencer et terminer à l’heure qu’ils veulent : l’important, ce sont les résultats. »
Kathy Malas croit d’ailleurs beaucoup à la gestion personnalisée. « Chaque employé a un profil de développement, d’apprentissage et de travail différent, et il faut respecter cette réalité. »
Dans cette veine, la gestionnaire a aussi déployé, pour ses plus proches collaborateurs, un plan de développement de carrière personnalisé qui va bien au-delà de la simple évaluation annuelle. « En toute transparence, je leur demande où ils se voient dans les cinq prochaines années, que ce soit au CHUM ou ailleurs, et je les encourage à développer les compétences requises pour atteindre cet objectif. Même si je ne veux surtout pas les perdre, je crois sincèrement qu’aider nos talents à grandir est un incitatif clé à leur mobilisation, soutient-elle. Et s’ils en viennent à partir, cette ouverture les incite à m’aviser d’avance, ce qui me permet de mieux planifier leur départ. »
Tout porte à croire que l’ensemble des mesures mises de l’avant par Kathy Malas et son équipe porte fruit, car le CHUM compte actuellement 165 projets d’innovation et d’intelligence artificielle de petite et de grande envergure, propulsés par cette stratégie corporative.
Miser sur la diversité
Le mouvement Ensemble inc., qui a pour mission de défier l’homogénéité dans les organisations québécoises, ne pouvait trouver meilleur ambassadeur pour concrétiser ses ambitions. Plus que quiconque, Marc-André Laurier Thibault sait ce que signifie devoir jouer certaines cartes pour faire accepter sa différence. À commencer par celle de l’humour, qui lui a sûrement ouvert plusieurs portes et a sans doute contribué à dissiper certains malaises. « À l’université, j’étais à peu près le seul à vivre des difficultés motrices et en toute franchise, on ne se bousculait pas aux portes pour m’inviter à me joindre aux équipes, lance-t-il en riant. Dès les premiers cours, je m’efforçais donc de poser des questions intelligentes pour qu’on ait envie de travailler avec moi. En fait, tout au cours de ma vie, j’ai dû montrer que j’étais allumé, car, par méconnaissance, les gens confondent souvent déficience et handicap moteur. »
« L’être humain aime s’entourer de gens qui lui ressemblent, car c’est rassurant », poursuit-il. Pourtant, on a démontré à maintes reprises qu’il y a de réels avantages à favoriser la diversité et l’équité au sein des équipes de travail. « En raison de leur expérience différente, ces employés ont un regard autre qui permet aux entreprises de penser en dehors de la boîte, ce qui stimule la créativité et l’innovation, en plus d’accroître la productivité », affirme le nouveau président-directeur général du mouvement Ensemble inc.
Cette initiative citoyenne a vu le jour en septembre 2020, en pleine relance économique, avec, pour toile de fond, la rareté de la main-d’œuvre comme menace. L’avocate gestionnaire Gwenaelle Thibault (MBA 2017) et un groupe d’amis voient alors dans cette conjoncture l’occasion de mobiliser les organisations pour faire plus de place à la diversité. D’un côté, il y a des entreprises qui peinent à recruter et de l’autre, des travailleurs marginalisés en raison de leurs différences (genre, âge, orientation sexuelle, traits psychologiques et physiques, origine culturelle, croyance, etc.) qui ne cherchent qu’à se faire valoir et à contribuer à cette reprise économique. « Pourquoi ne pas unir nos différences pour en faire une force? », se disent-ils.

Marc-André Laurier-Thibault
- 40 ans
- Baccalauréat par cumul 2018, Université de Montréal et HEC Montréal
Un appel à la mobilisation
« Notre but est ambitieux, reconnaît Marc-André Laurier Thibault : inciter 300 entreprises pancanadiennes à s’engager d’ici la fin de 2022 à faire la promotion de la diversité et de l’équité au sein de leur organisation, et à se fixer des objectifs SMART, c’est-à-dire spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels. » À la mi-octobre, le mouvement Ensemble inc. comptait quelque 215 signataires, dont Sophie Brochu, d’Hydro-Québec, David Bensadoun, du Groupe Aldo, et Karl Blackburn, du Conseil du patronat du Québec, qui ont été parmi les premiers à emboîter le pas.
« En parallèle, nous sommes aussi conscients que les entreprises sont là pour réaliser des profits et augmenter leur chiffre d’affaires, tient-il à préciser. L’idée, ici, c’est d’ouvrir des portes à des personnes compétentes qui passent malheureusement trop souvent sous les radars traditionnels, afin de leur donner la chance de prouver leur potentiel. »
L’expérience a aussi montré qu’il ne suffit pas d’adopter une politique EDI pour changer une culture organisationnelle et une approche de travail. Il faut réaliser des apprentissages. Et ces difficultés valent tant pour les grandes que pour les petites entreprises. « C’est pourquoi nous aspirons à devenir un guichet unique pour mieux les accompagner », conclut Marc-André Laurier Thibault.
Illustration : Adobe Stock
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