Marie-Éva de Villers : au-delà des mots!
Marie-Éva de Villers
Au-delà des mots!
Par Liette D'Amours
Bien que le mot « retraite » figure dans le Multidictionnaire de la langue française, il semble que Marie-Éva de Villers, conceptrice et rédactrice de cet ouvrage, l’ait totalement banni de son vocabulaire. Heureusement pour nous, car la linguiste de 77 ans, qui a consacré sa carrière à la défense et au rayonnement de la langue française, a encore beaucoup à offrir.
Encore aujourd’hui, la terminologue demeure très active. Quand elle ne s’affaire pas à la réédition de l’un de ses ouvrages, elle multiplie les interventions dans les médias et veille même à transmettre sa passion du français à la relève en participant à des causeries dans les écoles.
« Je n’ai jamais vraiment pris de retraite ni même envisagé de le faire, reconnaît Marie-Éva de Villers. Et comme j’ai la chance d’exercer un métier auquel je peux encore apporter ma contribution, pourquoi me priver d’un tel plaisir? »
Dans les faits, trois grandes escales ont marqué son parcours professionnel.
Le français au travail
Première escale : l’Office de la langue française (OLF), où elle participe à un vaste chantier lancé par Robert Bourassa en 1970 et qui vise à faire du français la langue du travail et des affaires au Québec. « À l’époque, bon nombre de Québécois devaient, bien malgré eux, travailler en utilisant des termes anglais, rappelle-t-elle. Pensons au secteur de l’automobile : non seulement les écoles techniques n’avaient pas de manuels en français, mais les ateliers de mécanique et les consommateurs ne disposaient d’aucune documentation dans leur langue.
« Pourtant, la plupart de ces mots existaient déjà en français, poursuit la linguiste. Et quand ils n’existaient pas, par exemple, dans des secteurs en émergence comme l’informatique ou les technologies, on les créait », raconte-t-elle.
Marie-Éva de Villers se voit ensuite confier la direction du secteur de la terminologie de la gestion. Pour réaliser ce mandat, elle fait appel à des experts de HEC Montréal. Dans la foulée, à la demande de l’Assemblée nationale, elle rédige l’avis officiel visant à recommander la féminisation des appellations d’emploi, un outil devenu incontournable avec l’arrivée plus massive des femmes sur le marché du travail et leur accession à des postes autrefois réservés aux hommes. « Le Québec a d’ailleurs été un précurseur à ce chapitre, vingt ans avant la France », souligne la linguiste.
« J’ai tellement aimé l’univers de HEC Montréal que j’y ai complété un MBA », ajoute-t-elle. Un certain François Legault faisait d’ailleurs partie de sa cohorte, en 1982.
Saisir l’occasion
Diplôme en main, Marie-Éva de Villers retourne ensuite à l’OLF pour sa deuxième escale. « Chaque année, notre service de consultation linguistique recevait plus de 100 000 questions sur divers aspects problématiques de la langue française. L’idée m’est alors venue de créer un ouvrage qui répondrait à ce besoin manifestement insatisfait », souligne-t-elle.
En 1988, les Éditions Québec Amérique lancent donc le Multidictionnaire de la langue française. Le succès est tel qu’il remporte le Mercure de l’innovation en 1990 et qu’une édition internationale voit le jour en collaboration avec Larousse. Quelque 1,2 million d’exemplaires plus tard, Marie-Éva de Villers éprouve toujours autant de plaisir à enrichir son précieux ouvrage, dont la huitième édition sera publiée en 2025.
Troisième escale : HEC Montréal, où elle est recrutée en 1990 pour mettre en œuvre la politique de la qualité de la communication. « Pendant 23 ans, j’ai dirigé l’équipe qui veillait à ce que la clientèle étudiante acquière une excellente maîtrise de la langue française, mais aussi une bonne connaissance de l’anglais et de l’espagnol, tout en ayant accès à une introduction au chinois des affaires. »
Que pense-t-elle de la qualité actuelle du français au Québec? « Bien qu’il faille être vigilant, elle s’est indéniablement améliorée depuis les années 1970. Ces gains sont sûrement attribuables à un plus grand accès aux études supérieures », conclut-elle.
Marie-Éva de Villers
- Ph. D. en linguistique 2004, Université de Montréal
- MBA 1982, HEC Montréal
Prix et distinctions
- Médaille de l’Académie des lettres du Québec (1998)
- Chevalière de l’Ordre national du Québec (1999)
- Prix Camille-Laurin de l’Office québécois de la langue française (2004)
- Prix Georges-Émile-Lapalme (Prix du Québec 2006)
- Membre de l’Ordre du Canada (2013)
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